Femme en Iran : portrait de Paria Kohandel

Paria Kohandel fui l’Iran, l’été dernier, à l’age de 18 ans. Elle n’a connu de l’enfance que les parloirs des prisons où elle allait voir son père, Saleh Kohandel,

détenu politique, et d’autres encore qui ont été exécutés.

Hassan Rohani, président du régime iranien viendra en France les 27 et 28 janvier. Elle aimerait participer à  la manifestation à Paris le 28 janvier au Trocadéro pour exiger la fin des exécutions en Iran et la liberté. Rencontre exclusive avec notre équipe.

Paria, à quoi rêvent les jeunes filles en Iran ?

A la liberté ! Une chose qui depuis des années est devenue un rêve, une chose dont les Iraniens sont assoiffés et dont ils ont crié le nom lors de la révolte postélectorale de 2009, et que nous n’obtiendrons qu’avec le renversement des mollahs.

La liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de s’habiller et la liberté de religion.

Les rêves des jeunes filles en Iran, c’est qu’un jour elles ne se fassent pas exécuter pour leur religion, soit  parce qu’elles sont chrétiennes ou bahaïes, ou à cause de leurs vêtements ;  qu’elles ne soient pas défigurées à l’acide et qu’un jour à cause de la pauvreté elles ne voient plus dans les rues la misère et la prostitution. Qu’un jour dans les prisons, les jeunes mineurs ne soient plus à attendre leur dix-huit ans pour leur exécution. Qu’un jour, les femmes pourront atteindre au vrai sens du terme, leur humanité, qu’elles n’auront plus le devoir de se battre pendant des jours et des heures pour chaque choix, petit ou grand.

 

Rohani viendra à la fin du mois de janvier en Europe et certains parlent de lui comme un modéré ajoutant même que les jeunes sont pour lui. Vous qui avez fui l’Iran l’été dernier, qu’est-ce que vous en pensez ?

Pour les Iraniens, cette façon de se faire passer pour un modéré dans la dictature, n’est qu’une plaisanterie amère. Tout le monde sait qu’il s’agit là d’un vernis pour la galerie des gouvernements occidentaux. En fait pour moi c’est étonnant et même douloureux qu’aujourd’hui les gouvernements occidentaux déroulent le tapis rouge pour ce soi-disant modéré qui a condamné à plus de dix ans de prison des gens comme mon père. Le tapis rouge pour celui qu’en Iran les jeunes taxent de renard – parce que le renard incarne la ruse et la tromperie. Sous le mandat de ce mollah nous avons vu des agressions à l’acide sur les jeunes filles, l’interdiction de l’entrée des femmes dans les stades qui a été relancée, la montée en flèche des prix et de la pauvreté, des amendes financières pour les femmes à cause de leur tenue vestimentaire, plus de 2000 exécutions, des peines plus lourdes pour les prisonniers politiques et les enseignants emprisonnés, et encore plus de répression et de tortures pour les détenus politiques.

Est-ce que cela ne fait pas mentir cette « modération » ?

Au fait pourquoi avoir fui l’Iran ?

J’ai 18 ans et j’en ai passé plus de dix dans les parloirs des prisons pour y voir mon père. J’avais huit ans quand des agents en civil ont attaqué notre maison, ont cassé les portes et les fenêtres, ont frappé mon père devant moi. Ils l’ont arrêté et emmené et m’ont laissée toute seule à la maison. Mon père n’est qu’un des milliers d’Iraniens dont le seul délit c’est d’avoir soutenu le parti d’opposition démocratique que sont les Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI).

L’OMPI est la seule à avoir toujours soutenu l’aspiration à la liberté des Iraniens durant toutes ces années. Et je ne suis qu’une de ces milliers d’enfants qui attendaient pendant des heures dans les prisons pour voir leurs pères. Quand j’ai eu 11 ans, j’ai dû aller seule au parloir, parce qu’ils ne donnaient l’autorisation à personne d’autre. Et je garde en souvenir chaque instant de toutes ces injustices, parce qu’elles forment chaque seconde de ma vie. Je voyais partir les meilleurs de l’Iran qui étaient exécutés ou qui mourraient sous la torture, sans céder un pouce de leur désir de liberté. C’est à cette époque que j’ai choisi de me battre comme eux pour mon rêve qui était cette liberté. Par la suite, j’ai participé à la révolte de 2009, et après j’ai mené des activités politiques au collège et je suis allée à des réunions et j’ai continué. Quand j’ai été en danger d’être arrêtée, j’ai décidé de partir d’Iran pour pouvoir continuer ces activités à l’étranger et être la voix de tous ces jeunes sans voix.

 

Est-ce que vous allez participer à la manifestation du 28 janvier de Paris ?

A mon avis il est absolument nécessaire que tout le monde participe à cette manifestation à Paris pour crier ensemble comme en 2009 en Iran, malgré la terrible répression et la peur qui nous assaillaient, que nous voulions la liberté. De la même façon à l’étranger, j’ai participé à plusieurs protestations pour crier, mais sans la peur, mon désir de liberté. Et je vais participer à cette grande manifestation, parce que je dois être la voix de toutes les jeunes filles d’Iran dont le cri est aujourd’hui étouffé par la chape de plomb en Iran. Je pourrai être la voix de mon amie Narguesse qui, en raison des pressions qui pèsent sur les filles, s’est suicidée à 15 ans en avalant un médicament, ou la voix d’Atefeh qui a été défigurée à l’acide comme des dizaines de jeunes filles, parce qu’elle ne voulait pas de ce code vestimentaire obligatoire qu’on nous martèle sous le mandat de Rohani.

 

Avez-vous un message pour cette manifestation ?

Je demande à tout le monde de nous aider à être la voix de chaque jeune Iranien qui, si ce jour-là pouvait manifester, crierait à coup sûr que ce criminel n’est pas notre représentant. Je leur demande par leur présence d’être la voix des jeunes qui sont sans voix en Iran.

 

Quel est le souvenir le plus amer que vous avez ramené d’Iran et quel est le plus beau moment de votre vie ? Quel est votre voeu en ce début d’année ?

Comme je l’ai dit, depuis l‘âge de onze ans, j’allais seule voir mon père au parloir de la prison. Mais il y avait beaucoup d’enfants comme moi. Pour aller au parloir, il fallait traverser un long tunnel d’un kilomètre, le tunnel de la prison de Gohardacht à Karadj (banlieue de Téhéran). Un de mes pires souvenirs qui me hante encore, ce sont ces petits enfants qui allaient eux aussi tout seuls au parloir, et qui de temps en temps apportaient un dessin à leur père. Mais quand ils arrivaient sur place, les gardiens leur disaient comme ça sans ménagement « ton père est parti », c’est-à-dire qu’ils l’avaient exécuté ! Le plus beau souvenir que j’ai sont ces vingt minutes de rencontre avec mon père et les prisonniers. Ces vingt minutes de parloir, si courtes, où j’essayais de toutes mes forces de parler avec chacun d’entre eux, de parler parce que je les considérais tous comme mes oncles. A chaque fois que je leur parlais, ils me donnaient de l’énergie, de l’espoir, beaucoup d’espoir. Quand je les ai perdus, parce qu’ils ont été exécutés, ce fut très dur pour moi, tout comme pour mon oncle Ali Saremi qui a été pendu alors quil était handicapé sur une chaise roulante, ou mon oncle Mohsen Dogmehtchi, mort d’un cancer privé de soins jusqu’au bout.
Alors mon plus grand voeu serait que  toutes les jeunes filles en Iran soient vraiement libres.

 

Avez-vous des modèles ?

Maryam Radjavi, dirigeante de l’opposition iranienne, parce que c’est une femme et que durant toutes ces années elle a résisté aux mollahs et a appris à résister à tous les Iraniens et surtout aux femmes.
Elle a démontré dans la pratique le sens de la liberté et de l’égalité.

Quelle est la phrase qui vous tient forte ?

Une phrase de mon père en prison, au parloir .
Il m’a demandé :  « Paria c’est moi qui suis libre ou les gens qui sont hors de la prison? » .
Je lui ai répondu : « Ceux qui sont hors de prison, car ils ne sont pas enchainés » .

Mon père m’a alors répondu :

Paria, n’oublie pas, celui qui en prison ne peut vivre libre même enchainé, ne peut pas vivre libre dehors même dans un palais. Moi je suis plus libre que tous les autres.

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