Des prisonnières politiques en Iran écrivent aux ambassadeurs de 45 pays

Les prisonnières politiques Atena Daemi et Golrokh Iraee ont écrit une lettre ouverte aux ambassadeurs de 45 pays en poste en Iran qui ont suivi une visite guidée à la sinistre prison d’Evine de Téhéran le 5 juillet 2014.

Atena Daemi purge une peine de sept ans uniquement pour ses activités pacifiques de défense des droits humains et contre la peine de mort et ses envois d’informations sur les sévices contre les détenues politiques aux groupes de défense des droits humains hors d’Iran. Golrokh Ebrahimi Iraee est condamnée à six ans de prison pour avoir écrit une histoire fictive sur la pratique cruelle de la lapidation, histoire n’ayant jamais été publiée. 

Texte de leur lettre ouverte : Nous avons été informées que le 5 juillet 2017, qu’une délégation de 45 ambassadeurs étrangers en poste à Téhéran avait été invitée à se rendre à la prison d’Evine. Paradoxalement, cette invitation était au nom des prisons iraniennes et des organisations islamiques des droits humains. Cela fait partie des traditions iraniennes de veiller à ce que votre maison soit propre et présentable lorsque vous recevez des invités. Par conséquent, il était indispensable que la zone en face du bureau actuel de l’application des peines à Evine, qui abritait les pelotons d’exécutions des prisonniers politiques dans les années 1980, soit transformée pour recevoir 45 ambassadeurs.

Nous nous adressons à vous, honorables diplomates invités à visiter des parties sélectionnées d’Evine, comme l’ont souhaité ces messieurs. Vous et nous, savons que le régime iranien et en particulier l’Organisation pénitentiaire ont été sanctionnés pour leurs exactions flagrantes. Pendant de nombreuses années, le régime iranien a refusé de laisser entrer les rapporteurs spéciaux des Nations Unies (M. Ahmed Shaheed et Mme Asma Jahangir) pour visiter les prisons. A présent, vous, les ambassadeurs en poste à Téhéran, que vous le vouliez ou pas, vous êtes devenus des pions pour le régime iranien, l’aidant à inverser la vérité sur la situation des droits humains en Iran.

Savez-vous combien il y a de gardiens à la prison d’Evine et dans les centres de détention ? Avez-vous réussi à visiter la section 209 des services de renseignement, la section des renseignements 2A des pasdaran et la section financière 241 de la magistrature ?Avez-vous vu les cellules sans fenêtres, sans ventilation ni toilettes utilisées pour l’isolement cellulaire ?Avez-vous vu les petites salles et les geôles utilisées pour les interrogatoires ? Est-ce qu’ils vous ont montré les cellules connues sous le nom de « tombe » ? Qu’en est-il des chantiers d’ « air-frais » couverts où vous êtes les yeux bandés et menottés ? Selon les journaux iraniens, vous étiez stupéfaits par les super conditions des prisonniers et le climat général de la prison. A combien de prisonniers avez-vous parlé ?

Avez-vous été informé du nombre de détenus, de la durée de l’isolement, des méthodes d’interrogatoire ou des diverses tortures physiques et psychologiques ? En effet, pourquoi n’avez-vous pas été conduit à la seule section politique pour femmes d’Evine, où nous sommes actuellement détenues ? On vous a probablement dit qu’Evine n’avait pas de gardiens pour femmes. Un mensonge aussi énorme que lorsqu’ils ont déclaré qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Iran.

Nous savons que vous ne pouvez ni ne pourrez le faire parce qu’ils ne veulent pas que vous ayez accès aux dossiers, même de quelques prisonniers, et que vous découvriez l’ampleur de la tragédie. Alors, nous allons écrire sur le domaine qui vous a tellement ébahi.Est-ce qu’ils vous ont dit comment et qui a rénové la section 4 que vous avez visitée ? Vous devez savoir que les prisonniers qui ont payé des millions pour les frais de rénovation de cette salle ont été emmenés loin de là le jour de votre visite. Prétextant d’emmener les prisonniers au tribunal pour leur procès ou à des visites à l’hôpital, ils les ont conduits à la section 2A où ils les ont gardés jusqu’à ce que vous quittiez la prison, pour que vous ne les voyez pas.

Ont-ils mentionné que des détenus incarcérés pour des délits financiers et des prisonniers politiques se trouvaient à la section 4 avec toutes sortes de condamnés de droit commun ?La veille de votre visite à Evine, ils ont cessé d’autoriser des journaux dans la prison parce qu’ils ne voulaient pas qu’on apprenne votre venue, craignant que la vérité ne se fasse au grand jour.

Vous avez fait des commentaires sur l’hygiène de la prison, alors laissez-nous vous parler de l’hygiène dans le quartier des femmes d’Evine, des conditions de la clinique et des mauvaises ordonnances, du manque de détergents et de désinfectants justifiés par les sanctions [internationales] et les déficits budgétaires.Avez-vous entendu parler du nombre de prisonniers atteints de VIH ou d’hépatite détenus au même endroit que d’autres prisonniers ? Est-ce qu’ils vous ont dit qu’en raison des restrictions religieuses imposées aux prisonniers par des médecins, les femmes à Evine ne reçoivent pas d’injections ou d’ECG ? Ont-ils mentionné qu’il n’y a même pas une seule infirmière qui pourrait s’en occuper ? Est-ce que vous avez été informé des milliers de prisonniers qui souffrent de problèmes rénaux en raison de l’eau de la prison ? Est-ce qu’ils vous ont présenté un médecin connu sous le nom de Shahriari ? Un médecin qui fait son diagnostic sans examiner le patient et seulement en le regardant, celui dont les ordonnances ne portent pas son tampon par crainte des conséquences de ses erreurs et mauvais diagnostics.

Nous aurions aimé vous voir monter dans les ambulances et voir de vos propres yeux l’absence de l’équipement nécessaire. On aurait aimé que vous demandiez à vos hôtes de vous montrer les images enregistrées par les caméras de la prison deux jours avant votre visite. Vous auriez pu voir les conditions insalubres de la prison et les uniformes des prisonniers qui sont jaunes pour l’intérieur de la prison et rayés de bleu.On aurait aimé que vous voyiez la série de portes verrouillées et scellées sur les prisonniers les unes après les autres – et même sur les gardiens dans chaque quart de travail – pour savoir combien de temps il faut attendre pour que les portes soient déverrouillées lors d’une sortie de secours pour le transfert à l’hôpital d’un prisonnier malade en cas d’urgence. 

Permettez-nous de vous donner un exemple de la prison des femmes à Evine, où la sortie d’urgence passe par trois portes verrouillées. Vous pouvez calculer le temps nécessaire pour ouvrir chaque porte après l’appel et la coordination pour que les soldats viennent débloquer les portes.Si seulement vous pouviez voir le nombre de femmes qui doivent dormir sur le sol parce qu’il n’y a pas de lits. Si seulement vous pouviez gouter la nourriture distribuée aux prisonniers.Saviez-vous que les prisonniers doivent acheter à leurs propres frais leurs produits laitiers, leurs légumes, leurs fruits et leurs protéines à des prix astronomiques au magasin de la prison, parce que la petite quantité de nourriture distribuée en prison sur une base mensuelle est pourrie et la date de consommation expirée.

Nous aurions aimé qu’ils vous expliquent les millions (de tomans) de bénéfices mensuels réalisés par cette entreprise.Néanmoins, ils ont dû vous informer que juste un jour avant votre visite à la plus grande prison d’Iran, il n’y avait pas de véhicules là-bas parce que les chauffeurs de taxis désignés pour le transfert de prisonniers dans les centres médicaux et les tribunaux étaient en grève parce qu’ils n’ont pas reçu de salaire depuis des mois.Avez-vous été informé de l’existence de salles désertes comme la section 350 (unité politique des hommes) ou la section réservée au clergé ?

Avez-vous parlé du nombre de personnes qui passent toute leur détention en isolement cellulaire ? Des gens comme Mohammad-Ali Taheri qui séjourne à l’infirmerie de la section 2A depuis plus de 5 ans.Il est essentiel que vous sachiez que contrairement aux revendications du directeur de l’Organisation pénitentiaire (Moustafa Mohebbi), nous ne pouvons recevoir de visite par nos familles qu’une fois par mois et pas chaque semaine.

Vous pourriez avoir facilement compris la géographie d’Evine à travers des images satellites. Vous auriez pu lire divers rapports rédigés par des sources fiables sur les salles à Evine et dans d’autres prisons iraniennes. Vous auriez même pu donner des noms de prisonniers politiques et demander à les rencontrer. Vous auriez pu entrer et inspecter cette prison avec des connaissances antérieures.

Bien qu’aucune de ces mesures n’ait été prise, nous souhaitons appeler les honorables ambassadeurs à au moins s’abstenir de participer à de fausses déclarations sur les conditions d’Evine et de ses prisonniers. Au lieu de cela, vous pouvez faire des visites inopinées à Evine, Qarchak, Fashafouoyeh, Radjaï-Chahr et d’autres prisons à Téhéran et en province pour obtenir une image plus réaliste. D’innombrables prisonniers politiques ont été incarcérés parce qu’ils voulaient donner une image réelle de la situation des droits humains en République islamique d’Iran.

Nous avons payé un tribut élevé pour cette cause, nos familles ont été constamment harcelées, et pourtant on nous a cachés à vos yeux.Nous, qui espérions apporter une petite amélioration aux conditions de détention des prisonniers, nous sommes maintenant en prison.

Vous, honorables ambassadeurs, vous avez retardé la réalisation de nos demandes parce que votre présence dans la plus grande prison de l’Iran a été utilisée pour imprimer de grands titres : « Certains pays et leurs médias montrent une image fausse et imprécise des prisons iraniennes. » Ils vous ont invité pour profiter de vous et à travers la mise en scène pour réfuter les rapports des organisations internationales de défense des droits humains comme étant sans fondement.

Cependant vous pouvez aider à améliorer les conditions en présentant une image réelle, non théâtrale et symbolique, des prisons iraniennes.Nous, les signataires de cette lettre, nous vous exhortons à demander à l’Organisation pénitentiaire iranienne et à l’Institut islamique des droits humains de permettre à la Rapporteuse spéciale des Nations Unies, Mme Asma Jahangir, de venir en Iran, d’inspecter les prisons et de rencontrer des prisonniers politiques et des militants sociaux.

Atena Daemi et Golrokh Iraee

Prison des femmes de la prison d’Evine

8 juillet 2017

 

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