Des femmes à la pointe d’un mouvement pour la justice en Iran

Article paru dans le numéro de septembre du magazine WOMEN SIDE

Sur une chaine satellite de l’opposition iranienne, les 4, 5 et 6 aout, de nombreuses femmes se sont pressées au micro pour témoigner, chacune à un bout du monde, d’une blessure que nul ne veut refermer en Iran.

« Je m’appelle Farzaneh et je téléphone de Londres. Cinq membres de ma famille ont été exécutés par les mollahs, dont deux tantes, Mehranguiz et Soheila Mohammad-Rahimi, en 1988. Soheila avait 18 ans lors de son arrestation et Mehranguiz 22 ans. Quand elles ont été exécutées, ma grand-mère était aussi en prison. »

Une autre a témoigné depuis la Suède. Ezzat a perdu son mari, Mehdi Gharaï, dans cette boucherie de l’été 1988[1]. Soudain elle se met à égrener un long chapelet d’une quarantaine de victimes de ce terrible massacre dans la seule prison de Chiraz, partis avec son mari. Un crime contre l’humanité[2], comme l’a qualifié Amnesty International, la FIDH, Human Rights Watch et d’autres encore.

Au fil des noms, celui d’une femme de 50 ans, Chamsi Barari, et d’une lycéenne[3], Chirine Eslami. Toutes les couches sociales sont touchées : enseignants, étudiants, adolescents, ouvriers, médecins, commerçants, ingénieurs, infirmières, des fratries, des familles entières. Ce qui a été considéré comme un des pires crimes de l’après seconde guerre mondiale a fait, selon les recherches du Conseil national de la résistance (CNRI) et les déclarations d’ex-autorités en Iran, plus de 30.000 morts, dont des milliers de femmes[4].

Une dame âgée apparait à l’écran, Mme Ibrahim-Pour, que le présentateur nomme avec tendresse « Mère Ibrahim-Pour », en signe de respect. Elle se tient droite, son regard un peu perdu fixe la caméra. Les mots se bousculent dans sa bouche. Elle porte un deuil immense : 30 des siens, de sa famille ont été exécutés, dont quatre de ses enfants. Sa fille étaient enceinte de 6 mois quand elle a été tuée dans un raid des pasdaran à son domicile. Cette femme est un monument de souffrance et de résistance. « Mon second fils, exécuté 40 jours après mon ainé, était grand et fort. Quand ils m’ont rendu son corps, tous les os étaient brisés. Je n’ai pas eu le droit de l’enterrer au cimetière. Je l’ai enterré moi-même dans la forêt. » Des larmes coulent sur son visage. « Mon dernier a été exécuté dans le massacre de 1988. Je n’étais plus en Iran. J’avais fui. Oui, je demande justice.»

Un choc de titans

Zohreh[5] qui est réfugiée à Paris, a voulu elle aussi témoigner. D’une voix lourde et posée, elle cherche ses mots. Chacune de ses phrases esquisse un portrait, celui de sa sœur, Zahra Bijan-Yar, une de ces 30.000 âmes fauchées en pleine jeunesse. « Quand elle a été arrêtée, elle avait 23 ans. Elle avait trouvé un travail. Elle avait un esprit très ouvert, elle aimait aider les gens. Elle venait de se marier et elle était enceinte. On en a informé à plusieurs reprises la prison, mais elle a perdu son bébé sous la torture. Elle avait été condamnée à sept ans derrière les barreaux. Quand on allait la voir, on voyait bien qu’elle prenait des coups. Mais elle avait toujours le moral, elle avait un si joli rire, elle aimait tellement la vie. »

C’est justement une génération amoureuse de la vie et passionnée de liberté que Khomeiny, dans une fatwa de 250 mots a décidé d’exterminer à l’été 1988. Une génération où une multitude hommes et surtout de femmes se battent contre un rempart de fanatisme qui s’est élevé en Iran, au nom de la religion. Le décret de Khomeiny est nommément dirigé contre les membres et sympathisants de l’OMPI, la plus grande organisation d’opposition iranienne qui au grand dam des mollahs s’appuie sur l’islam démocratique et tolérant et donne toute sa place à l’égalité des femmes et des hommes. Le choc des titans : la dictature contre la liberté. Khomeiny sera d’une cruauté sans nom. Les victimes d’un courage sans fin, surtout les femmes.

« Cette campagne du mouvement pour la justice, se félicite Zohreh, permet d’entendre des choses que personne n’a entendues jusqu’à présent. Et tant que la justice ne sera pas rendue, cette campagne continuera.

« Je ne marchande pas mon honneur »

« La dernière fois que j’ai vue Zahra au parloir, c’était le 18 juillet 1988, au lendemain du cessez-le-feu dans la guerre Iran-Irak. J’étais très contente et je lui ai dit : votre situation va s’améliorer. Mais elle m’a répondu : « non, je suis très inquiète. J’ai entendu des choses, que Dieu nous vienne en aide. Ils préparent quelque chose. »

« On ne s’est plus jamais revues. Les visites ont été arrêtées. Khomeiny a promulgué son décret et formé les commissions de la mort et plus de 30.000 prisonniers politiques ont été massacrés dans le silence du monde. Moi à l’époque j’étais encore en Iran. Oui c’était vraiment dans le silence international.

« Un des responsables de la prison d’Evine du nom de Zamani, avait beaucoup insisté pour que Zahra soit exécutée. Il avait demandé à ma sœur de collaborer et elle lui avait répondu : je ne marchande pas mon honneur. Et là-dessus, ce Zamani a obtenu sa condamnation à mort.

« Zahra fait partie de ces prisonnières qui avaient été incarcérées pendant 8 à 9 mois dans le terrible quartier « résidentiel » [où les femmes servaient d’esclaves sexuelles et où tout était fait pour les déshumaniser]. A son retour elle était dans un état déplorable tant sur le plan physique que psychologique. Elle avait pratiquement perdu la vue. Il ne lui restait que 2/10e. Dans une visite, j’avais vu ses pieds qui avaient démesurément enflés sous la torture.

« Mais ses bourreaux ne se sont pas contentés de les avoir massacrés. Ils ont continué avec les familles. Ils n’ont jamais dit quand ils les avaient exécutés, où ils les avaient enterrés, ni pourquoi ils les avaient tués. C’étaient tous des prisonniers qui avaient déjà été condamnés. » Certains avaient même fini de purger leur peine, d’autres qui avaient été libérés avaient été ramenés en prison. 

Un mouvement pour la justice

Un mouvement pour la justice s’est levé en Iran en aout 2016. C’est la dirigeante de l’opposition iranienne Maryam Radjavi[6] qui a initié ce courant. Le but est de mettre fin à l’impunité totale dont jouissent les auteurs et les responsables de ce massacre jusqu’à ce jour et qui les encourage à continuer. 100 exécutions pour le seul mois de juillet 2017 [7] en Iran. 81 femmes exécutées sous la présidence de Rohani.

Ce mouvement pour la justice mené par les familles des victimes, en grande majorité des femmes, a brisé un tabou en Iran. Tant et si bien que le fils de l’ayatollah Montazeri, successeur de Khomeiny en 1988 – mais écarté par la suite – a mis en ligne un enregistrement audio[8] d’une réunion datant justement d’aout 1988, en plein massacre, entre son père et des membres de la commission de la mort. Le religieux dénonce en termes vigoureux ce génocide. Ses interlocuteurs en prennent la défense. L’un d’entre eux Pour-Mohammadi sera quatre ans ministre de la Justice de Rohani, dit président « modéré ». Celui qui le remplace dans le second mandat de Rohani est aussi un juge potence issu de ce massacre. Alireza Avaï a sévi dans la prison de Dezfoul (dans le sud de l’Iran). Des témoins soulignent son extrême cruauté, notamment pour les exécutions de mineurs dans ce massacre. Depuis 1988, tous les ministres de la justice sont des responsables des exécutions massives qui forment le socle commun de la dictature religieuse.

Le mouvement pour la justice a ébranlé les fondements même de la théocratie. Le favori du guide suprême à la présidentielle de mai 2017, n’était autre que Raïssi, un des hommes de l’enregistrement révélé sur internet, un membre de la commission de la mort. Le slogan « ni charlatan (Rohani) ni bourreau (Raïssi) » est devenu viral pendant la campagne. Le guide suprême a dû reculer et laisser la présidence à la peste, Rohani, plutôt qu’au choléra, Raïssi.

Amnesty International a publié le 2 août 2017[9] un excellent rapport sur la persécution des défenseurs des droits humains en Iran qui sont durement réprimés « depuis l’accession d’Hassan Rohani à la présidence en 2013, diabolisant et emprisonnant les militants qui osent se battre pour les droits des citoyens. Parmi eux des parents de ceux exécutés sommairement, ou victimes de disparitions forcées durant les années 1980 et qui demandent des comptes, et ceux qui recherchent la vérité et la justice pour les grandes violations des droits humains des années 1980, ont clairement subi un plan de répression intense. »

Amnesty International note l’intérêt que porte la jeunesse iranienne à ce mouvement pour la justice : « Les défenseurs des droits humains visés pour rechercher la vérité et la justice incluent de jeunes nés après la révolution de 1979 qui utilisent les réseaux sociaux et d’autres plateformes pour discuter des atrocités commises dans le passé et pour assister aux rassemblements de commémoration qui ont lieu à Kharavan. »

Parmi ces défenseurs, une femme d’un courage à couper le souffle : Maryam Akbari Monfared[10], mère de trois filles. Amnesty écrit dans son rapport qu’elle a été condamnée à 15 ans de prison et qu’elle subit des représailles, dont un déni de soin, des menaces de trois années supplémentaires de peine et un éloignement dans un pénitencier lointain, pour avoir déposé plainte au Parquet depuis l’intérieur de la prison en octobre 2016. Elle y réclame une enquête officielle sur les exécutions massives extrajudiciaires des prisonniers politiques en 1988 ». Elle y a perdu une sœur et un frère. Deux autres frères avaient déjà été exécutés. Un quatrième frère est en prison, et elle est accusée d’avoir téléphoné à ses sœurs survivantes qui se trouvent dans la résistance. Difficile de faire plus fort !

Nous sommes toutes des Maryam Akbari

Le plus dur dans un crime de cette ampleur est de briser le silence, savamment entretenu par le pouvoir iranien et répercuté dans la presse en Occident depuis 28 ans. Qui a entendu parler de ce massacre ? Mais depuis l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, le mur se brise. Pour paraphraser le philosophe Jankélévitch, oublier ce massacre, l’enterrer dans le silence, « serait un nouveau crime contre le genre humain ». Le moment est venu de le faire savoir, de le propager autant que possible, de le condamner sur tous les tons pour que la lourde machine de l’ONU se mette en marche, enclenche une enquête internationale et envoie les responsables et les auteurs devant un tribunal. Nous pouvons et nous devons toutes être une Maryam Akbari Monfared et demander justice pour ces 30.000 âmes volées.

CNRI Femmes – Hélène Fathpour

  

[1] http://www.women.ncr-iran.org/fr/articles/1435-celles-et-ceux-qui-ont-repondu-a-l-appel-de-la-liberte-en-iran

[2] Amnesty International, 2 novembre 2007 – Entre le 27 juillet 1988 et la fin de l’année 1988, des milliers de prisonniers politiques, y compris des prisonniers d’opinion, ont été exécutés dans des prisons de tout le pays. Amnesty International considère ces exécutions comme des crimes contre l’humanité.

https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/128/2007/en/

Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) – septembre 2013 – Les massacres extrajudiciaires massifs perpétrés dans diverses prisons iraniennes au cours de l’été 1988 contre plusieurs milliers d’opposants politiques constituent, sans aucun doute, un crime contre l’humanité.

https://www.fidh.org/IMG/pdf/fidh_lddhi_report_25_years_on_and_still_no_justice_sept_2013.pdf

Human Rights Watch, 15 décembre 2005 – En 1988, le gouvernement iranien a exécuté sommairement et extrajudiciairement des milliers de prisonniers politiques détenus dans des prisons iraniennes. La manière délibérée et systématique dont ces exécutions extrajudiciaires ont eu lieu constitue un crime contre l’humanité en vertu du droit international.

https://www.hrw.org/report/2005/12/15/ministers-murder-irans-new-security-cabinet

[3] http://www.women.ncr-iran.org/fr/articles/1581-un-nouveau-document-revele-l-execution-de-filles-de-13-ans-en-iran

[4] http://www.women.ncr-iran.org/fr/articles/1297-40-000-heroines-symbolisent-l-honneur-des-femmes-en-iran

[5] http://csdhi.org/index.php/actualites/executions/7927-iran-temoignage-ma-soeur-etait-enceinte-lors-de-son-arrestation-elle-a-perdu-son-bebe-sous-la-torture?highlight=WyJ6b2hyZWgiLCJiaWphbnlhciIsInpvaHJlaCBiaWphbnlhciJd

[6] http://www.maryam-rajavi.com/fr/

[7] http://www.iranmanif.org/index.php/manifestation/en-iran/5484-les-pendaisons-de-2017-en-iran

[8] https://www.youtube.com/watch?v=ENH_LcrgQC4

[9] https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/6446/2017/en/

[10] http://www.women.ncr-iran.org/fr/infos-des-femmes/2286-iran-maryam-akbari-menacee-d-une-plus-longue-peine-de-prison

 

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