Les femmes et la Révolution constitutionnelle de 1906

Révolution constitutionnelle

Le 5 août marque l’anniversaire de la Révolution constitutionnelle de 1906 en Iran ; une révolution qui visait à établir la démocratie, la primauté du droit, un parlement composé des élus du peuple, et à pousser l’Iran vers le progrès.

Avant la Révolution constitutionnelle, les femmes n’avaient aucun droit en Iran. Elles étaient complètement exclues des activités sociales. Leur rôle se limitait aux tâches ménagères.

Bien qu’il ait voyagé trois fois en Europe et qu’il se soit familiarisé avec les libertés des femmes et leurs engagements sociaux, le roi Qajar, Nasseredin Chah, ne permettait pas à ses nombreuses épouses de participer à la vie sociale. Les femmes de son harem n’étaient autorisées de sortir du palais qu’une seule fois par an, où le bazar de Téhéran était évacué pour que celles-ci puissent faire leurs achats annuels. Bien entendu, il fallait tout d’abord remplacer le personnel habituel du bazar par des femmes. Aucun homme n’était autorisé à entrer.

Nasseredin Chah a également ordonné la construction d’un sanctuaire à l’intérieur du palais pour que ses femmes puissent s’adonner aux pratiques religieuses sans avoir besoin de sortir dans la société.

La Révolution constitutionnelle a changé les mœurs et les femmes se sont progressivement engagées dans des activités sociales. La Révolution a eu un impact étonnant sur la société. Les obstacles au progrès des femmes ont été progressivement supprimés ou réduites. ” Les femmes en Iran ont été les femmes les plus progressistes (sinon les plus radicales) du monde depuis 1907 “, écrit Morgan Shuster dans son livre The Strangling of Persia (New York : The Century Company, 1912). Shuster explique que “du jour au lendemain, malgré leurs lacunes en expérience, les femmes voilées sont devenues enseignantes, journalistes, fondatrices de clubs de femmes et porte-parole politiques”. Autant dire qu’en espace d’une Révolution en 1906, elles ont acquis des droits et un statut social, que leurs homologues occidentales ont mis des décennies voir des centaines d’années à obtenir, précise encore l’avocat américain.

 

Les pionnières de la lutte pour les droits des femmes

Après la Révolution constitutionnelle, les pionnières du mouvement pour les droits des femmes, dont beaucoup appartenaient aux classes aisées, se sont progressivement organisées en associations et ont créé de nouvelles écoles pour filles, des établissements d’études supérieures, des cliniques et d’autres types d’institutions pour les femmes.

Elles jouissaient il est vrai d’un soutien inconditionné de beaucoup d’hommes intellectuels de leur époque, des journalistes, les poètes et des parlementaires (comme Vakil-ou Ro’aya et Taghizadeh). Les articles satiriques de Dehkhoda dans le journal Sour-e Esrafil, la poésie d’Iraj Mirza, les écrits d’autres écrivains dans les journaux Habl ol-Matin, Iran-e No et Mosavat sont toujours là pour témoigner de la solidarité dont a bénéficié le mouvement pour la condition féminine, parmi les écrivains et intellectuels de l’Iran.

Les intellectuels de l’époque insistaient sur la création d’écoles pour filles. Ils argumentaient que des mères analphabètes et loin de de leur temps ne peuvent être de bons modèles pour leurs filles.

 

Fondation des écoles pour filles

En avril 1910, cinquante écoles pour filles ont été créées à Téhéran.

En 1913, un magazine féminin, Chokoufeh, a publié une liste de 63 écoles de filles à Téhéran avec environ 2 500 élèves. Selon Chokoufeh, les filles représentaient un septième des élèves de Téhéran.

Parmi les principales femmes qui ont fondé les écoles pour filles à Téhéran, nommons Bibi Khanum Astarabadi. L’une des premières institutrices de l’Iran, Astarabadi était a fondé l’école primaire Douchizegan. L’école avait cinq enseignantes et les élèves étaient âgés de sept à douze ans. Elle a également créé une crèche pour les filles défavorisées et orphelines.

Astarabadi est l’auteur d’un livre intitulé “Maayeb al-Rejeal” (littéralement, Les défauts des hommes).

Une autre pionnière de la lutte pour la condition féminine en Iran, était la célèbre Safiah Yazdi, qui a fondé l’école Effatieh à Téhéran en 1910. Yazdi s’est fait connaître par ses discours audacieux en faveur des droits des femmes.

Les créations des écoles de filles se sont butées à l’opposition du clergé fanatique qui exhortait ses partisans d’humilier et de harceler les filles et les femmes à la sortie de ces établissements scolaires. Ces partisans issus pour la plupart des milieux ruraux allaient même jusqu’à battre les femmes dans la rue.

 

La constitution des associations de femmes

L’Association pour la libération des femmes a été l’un des premiers groupes de femmes formés le 30 décembre 1906, après l’adoption de la constitution. Des personnalités, hommes et femmes, célèbres participaient aux meetings de cette Association qui se tenaient deux fois par semaine.

Deux des filles de Nasseredin Chah, Taj ol-Saltaneh et Eftekhar ol-Saltaneh, faisaient partie des militantes de cette association qui défendait avec passion les droits des femmes.

D’autres femmes célèbres, dont la journaliste Sediqeh Dowlatabadi et l’écrivaine Chams ol-Muluk Javaher-Kalam, étaient également membres de cette association.

Une autre participante aux réunions de l’Association était l’Américaine Park Jordan, l’épouse du missionnaire Samuel Jordan qui avait cofondé le fameux Collège Alborz pour garçons à Téhéran en 1894. Le couple avait dirigé le collège jusqu’en 1940, date de leur retraite.

Les réunions de l’association se tenaient en secret. Une tentative des partisans du clergé pour saccager le lieu révélé du rassemblement n’a échoué qu’à la dernière minute par un Arménien qui a informé les participantes avant qu’elles n’arrivent sur les lieux.

Une autre association de femmes était l’Association patriotique Mokhadarat, fondée par 60 femmes en 1910 à Téhéran. Cette association a construit une école et un orphelinat à Téhéran pour 100 filles. L’un des membres de l’Association patriotique Mokhadarat était Agha-Baigom, l’épouse de l’éminent orateur de la Révolution constitutionnelle, Malek ol-Motekalemin, et fille du clergé libre penseur, Hadi Najmabadi Najmabadi qui a également fondé une école de filles dans le sud de Téhéran.

Parmi les autres personnes impliquées dans l’Association patriotique Mokhadarat, on peut citer Anahid Davidiyan, une puissante oratrice qui était l’épouse de Yeprem Khan, le chef arménien de la police de Téhéran après la conquête de la capitale par les révolutionnaires constitutionnalistes et le renversement du dernier roi Qajar, Mohammad Ali Chah.

Sediqeh Dowlatabadi, sœur du poète et écrivain Yahya Dowlatabadi, était membre de l’Association de libération des femmes et secrétaire de l’Association patriotique Mokhadarat.  En 1918, elle installe un lycée de filles à Ispahan et, les années suivantes, elle crée l’Union des femmes d’Ispahan et publie un hebdomadaire féminin intitulé ” Langage des femmes “.

Sediqeh Dowlatabadi s’est rendue en France en 1922 et a étudié à la Sorbonne. Elle a écrit des articles dans les journaux européens et a donné des conférences sur les femmes et la politique. Elle a pris la parole à la Conférence internationale des femmes en 1926 en tant que représentante de l’Iran.

Mohtaram Eskandari (1895- 1924), était de la famille Qajar. Son père était l’un des fondateurs de l’Association Adamiyat qui regroupait de nombreux intellectuels. Elle a été une pionnière du mouvement des femmes, malgré sa courte vie. Elle a fondé la “l’Association des femmes patriotes” qui publiait le magazine intitulé ” Femmes patriotes “.

Dorrat ol-Ma’ali, dont le père était le médecin personnel de Nasseredin Chah, était une enseignante membre de l’Association patriotique Mokhadarat. Elle a créé l’école Mokhadarat de Téhéran avec ses fonds personnels.

Dorrat ol-Ma’ali et Sediqeh Dowlatabadi ont été parmi des opposantes de première heure du traité colonial signé entre la Russie et la Grande-Bretagne pour diviser l’Iran en zones d’influence russe et britannique dans le nord et le sud. Dorrat ol-Ma’ali, qui était en contact avec les membres du Majlis (parlement), leur a demandé de prendre position contre cet accord.

La maison de Dorrat ol-Ma’ali était un centre de rencontres et de conférences pour les femmes où se tenaient des séances de poésie, auxquelles participaient activement des poètes connus comme Iraj Mirza et Malek ol-Choara Bahar.

 

Le rôle des femmes dans la Révolution constitutionnelle

Après le bombardement du parlement en juillet 1924 et le début du soulèvement à Tabriz contre la tyrannie de Mohammad Ali Chah, les femmes vêtues de vêtements masculins ont participé activement aux 11 mois de résistance et de soulèvements menés par Satar Khan (le dirigeant de la Révolution constitutionnaliste) et ses camarades. Les femmes ont pris part aux combats dans les quartiers et les rues d’Amirkhiz à Tabriz (nord-ouest de l’Iran), et certaines sont mortes dans les combats.

Behzad Taherzadeh, l’un des résistants de Tabriz, raconte que l’un des soldats blessés refusait qu’on lui enlève ses vêtements pour le soigner. Quand Satar Khan est intervenu pour convaincre le soldat, il s’est rendu compte que c’était une femme.

Habl ol-Matin, l’un des journaux bien connus de l’époque, écrit : “Dans l’une des batailles de Tabriz, vingt femmes qui portaient des vêtements d’hommes ont été identifiées parmi les morts “.

Bibi Maryam Bakhtiari (1847- 1937) fille de Hossein Gholi Khan, le chef du fameux tribu Bakhtiari, et sœur de Sardar (commandant) Assad Bakhtiari a joué elle-même un rôle important dans le prise de Téhéran par les forces constitutionnalistes. Bien instruite, Bibi Maryam était une pionnière de la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes et de la lutte pour la liberté. Elle a également milité contre le colonialisme russe et britannique en Iran pendant la Première Guerre mondiale. Bibi Maryam a été formée aux techniques de la guerre dans sa jeunesse et est devenue une commandante militaire. Bibi Maryam s’opposait au despotisme de Mohammad Ali Chah, et dans diverses lettres, télégrammes et conférences, elle éduquait et conseillait les chefs des tribus Bakhtiari pour combattre les tyrans Qajar.

Le 29 novembre 1911, le gouvernement russe a obtenu l’accord des Britanniques et a donné un avertissement au parlement iranien pour qu’il expulse Morgan Shuster de l’Iran dans les 48 heures.

William Morgan Shuster était un avocat, fonctionnaire et éditeur américain, qui était nommé à la tête du Trésor par le Parlement iranien (Majlis). Morgan Shuster était là pour aider à gérer le système financier iranien, mais il s’est également opposé à la domination coloniale de la Grande-Bretagne et de la Russie en Iran et a soutenu activement la Révolution constitutionnelle.

Pour protester contre l’ultimatum à Téhéran, 50.000 personnes sont descendues dans la rue et ont annoncé une grève générale. Des milliers de femmes portaient des linceuls blancs, montrant qu’elles étaient prêtes à sacrifier leur vie pour leur pays. Le 10 décembre 1911, l’Association patriotique Mokhadarat a appelé à une grande manifestation devant le Majlis. Des milliers de femmes ont participé au rassemblement.

Dans son livre The Strangling of Persia, Morgan Shuster écrit : ” Libres des contraintes traditionnelles et des sanctuaires entourés, trois cents femmes rebelles se déversent dans les rues. Elles portaient un hijab noir et des foulards blancs. Elles étaient munies des pistolets qu’elles portaient sous leurs vêtements. Elles se sont rendues directement au Parlement et s’y sont rassemblées pour demandé au Président du Majlis de les accepter toutes. Certaines des femmes ont été autorisées à entrer au Parlement. Ces mères, épouses et filles ont montré leurs pistolets pour montrer qu’elles étaient déterminées dans leur foi. Elles ont retiré leur hijab et menacé de tuer ces maris et ces fils avec les mêmes pistolets si les députés ne parvenaient pas à se conformer à leur devoir de protéger la liberté et la fierté de la nation et du pays “.

À l’occasion de l’anniversaire de la Révolution constitutionnelle, nous rendons hommage à la mémoire les femmes courageuses de l’Iran qui ont joué un rôle actif dans cet évènement, ainsi que les femmes courageuses qui ont été les avant-gardes et les pionnières du mouvement pour l’égalité et qui ont pris le risque de hisser la bannière de la libération des femmes à l’époque la plus sombre de la domination patriarcale. Leurs luttes sont devenues une source d’inspiration pour les femmes iraniennes des temps modernes qui ont lutté contre les régimes du Chah et des ayatollahs. C’est avec de tels symboles que les femmes de l’OMPI dirigent maintenant le mouvement de la Résistance iranienne pour renverser le régime misogyne des mollahs.

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