Parvine Kouhi : Mon seul atout était le serment que j’avais fait à mon peuple

Parvine Kouhi : Mon seul atout était le serment que j'avais fait à mon peuple

CNRI Femmes – Toutes celles et ceux qui ont été témoins de la résistance de Parvine Kouhi en prison expliquent une scène poignante de son arrivée : « Elle avait été tellement torturée qu’ils l’ont portée jusqu’à la cellule enveloppée dans une couverture. »[1]

Parvine Kouhi est âgée de 56 ans. Elle vient de Shahr-e Kord, l’une des plus belles villes d’Iran. Elle se présente comme suit :

Je suis née et j’ai grandi dans une famille de classe moyenne à Shahr-e Kord. Je suis l’aînée d’une fratrie de sept, 3 sœurs et 4 frères.

J’avais 16 ans lorsque l’Iran réécrivait sa propre histoire par le biais de la révolution antimonarchique. Pendant cette période, la lecture et la défense des groupes politiques étaient très répandues parmi les jeunes et les étudiants.

C’est en lisant un article sur Mehdi Rezaï que j’ai fait connaissance avec l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran  (OMPI/MEK).[2] Cette relation ne s’est développée qu’après mon entrée à l’université d’Ispahan en 1979. Malheureusement, la période de liberté qui a suivi la révolution contre le chah a été de courte durée pour les Iraniens, y compris les étudiants.

Dès le début, Khomeiny a réprimé, arrêté et interdit toute activité politique libre. C’est pour cette raison que, peu après la révolution, les prisons et les centres de détention ont été remplis de jeunes Iraniens, comme moi et mes innombrables amis dont le seul véritable délit était de défendre nos propres droits et libertés.

Arrestation et détention

Parvine Kouhi a ensuite expliqué comment elle a été arrêtée et emprisonnée :

Je me souviens encore très bien de ma première arrestation.

C’était le 2 mai 1982. Un dimanche après-midi. Il était environ 14h15. On m’avait menottée et fait monter à l’arrière d’une camionnette banalisée. Mon esprit s’emballait. J’avais 20 ans.

À cause des informations que j’avais, j’étais inquiète et effrayée.

En peu de temps, on est arrivés la prison d’Evine. Il était 14 h 30. On m’a immédiatement emmenée au sous-sol dans le quartier 209 de sinistre réputation des pasdarans.

L’interrogatoire a commencé immédiatement et j’ai été sauvagement torturée.  Les tortionnaires voulaient mes informations. Et j’étais déterminée à ne pas les donner.

Je ne sais pas trop comment décrire ces moments, ces scènes. Les mots me manquent, comme toujours en regardant en arrière. Peut-être que tout ce que je peux dire, c’est que c’était une lutte.

J’ai dû choisir entre abandonner et tenir bon, entre ma cause et l’ennemi…

Le seul atout que j’ai gardé sous la torture était le serment de rester fidèle au peuple et à l’OMPI.

La douleur est un sentiment que tous les êtres humains connaissent très bien.

Une douleur incessante, qui lançait, qui semblait se poursuivre sans répit alors que les coups de câble s’écrasaient sur mon dos, mes pieds et tout le corps.

J’avais besoin de croire fermement en ma cause pour surmonter la souffrance qui m’engloutissait, qui essayait de me briser, de me déchirer.

Les coups des câbles, brutaux, les coups de poing, les coups de pied implacables décochés les uns après les autres. Encore et encore.

Si vous me demandez ce dont je me souviens le plus de tout cela, il faudrait que, après tout ce temps, après toute la sueur et le sang, après les heures de torture et les coups portés au corps, ils n’aient pas pu tirer un seul mot de ma bouche.

Ils étaient fatigués, impuissants et totalement frustrés. À tel point que j’ai été libérée de leurs mains et envoyée dans la section.

C’est à ce moment-là, alors que mon corps n’était que douleur et sang, que j’ai ressenti en moi un étrange sentiment de réconfort. Une confiance qui a commencé à s’installer lentement en moi. Sur moi.

J’ai réalisé que personne, aucun homme, aucun procureur, aucun tortionnaire ne pouvait me priver de mon espoir et de ma foi en ce qui était vrai et juste.

Rejoindre le mouvement

Après un certain temps, mon dossier a été envoyé au bureau du procureur qui, à l’époque, n’était autre que Lajevardi, le très cruel « boucher d’Evine ».[3]

J’ai commencé à me déplacer de prison en prison. Je me suis retrouvée en isolement dans la prison de Gohardasht, à Karadj, pendant un certain temps. Puis je suis retournée à la prison d’Evine en isolement. Et puis j’ai été emprisonnée à la prison d’Ispahan pendant un peu moins d’un an.

Personne ne pensait survivre aux prisons du régime. Mais après avoir reçu ma peine, j’ai commencé à réfléchir à la façon de rejoindre la Résistance le plus vite possible après ma libération.

J’ai commencé à rencontrer d’autres personnes qui, comme moi, étaient emprisonnées pour avoir défendu leurs convictions. Je me suis confiée à elles et leur ai donné un code à transmettre à l’organisation si elles parvenaient à la rejoindre, puis quelqu’un viendrait me chercher.[4]
Et c’est ce qui s’est passé après ma libération en 1988.

C’est vers la fin du mois de juillet 1989 que j’ai reçu une réponse et qu’un membre de l’organisation est venu chez moi et m’a aidé à trouver un moyen de quitter le pays.

Je n’ai parlé à personne, pas même à ma famille, du jour où j’allais partir. Je me souviens de les avoir rassurés en leur disant que je reviendrais plus tard chez moi et qu’ils n’avaient aucune raison de s’inquiéter. Je leur ai dit que j’allais rendre visite à un ami.

C’était il y a 29 ans …

L’héritage de mes amies disparues

De toutes mes amies qui ont commencé sur cette voie de résistance, seules quatre sont maintenant à Achraf-3.

Je me souviens d’amies de la prison d’Evine, qui ne sont plus avec nous. Ils ont donné leur vie pour la liberté : Parvine Ha’eri, Hajar Karami, Faranguisse Keyvani, Fatemeh Seyed-Rezaï, Hengameh Osia, Leila Amiri, Qodsieh Havakeshan et Shahnaz Ehsani.

Mes amies des années de collège avec lesquelles nous avons découvert l’OMPI et sommes devenues des sympathisantes, mais qui font maintenant partie des martyres qui ont donné leur vie pour la liberté :  Ozra Alam Rajabi, Bozorg Jahanbakhsh, Soheila Kiani, Jamileh Salehi, Mansoureh Omoumi et Tahereh Samadi.

Il est difficile de croire et de voir combien de temps s’est écoulé. Tout au long de ces années, j’ai ressenti l’héritage que m’ont légué mes amies tombées au combat.

Un héritage que l’ennemi n’a pas pu nous enlever, même sous les tortures les plus cruelles, et qui était la foi en notre cause et la certitude de gagner la liberté.

Aujourd’hui, plus que jamais, je crois que le jour viendra où l’Iran sera libre et ce jour n’est pas loin.


[1] Les prisonniers gravement torturés étaient enveloppés dans une couverture par les pasdarans en raison de leur incapacité à se tenir sur leurs pieds et à bouger, et étaient transportés dans les quartiers où d’autres prisonniers étaient détenus.

[2] Mehdi Rezaï était un membre de l’OMPI qui a été exécuté à l’âge de 19 ans pour s’être opposé au régime du chah.

[3] Assadollah Lajevardi, connu sous le nom de “Boucher d’Evine”, a été la cause et le fondateur de nombreuses tortures, viols et meurtres de prisonnières et prisonniers politiques, en particulier de l’OMPI. Il est l’un des auteurs du massacre de 30 000 prisonniers politiques de l’OMPI/MEK durant l’été 1988.

[4] Les codes radio ont été utilisés dans une section fixe de la radio de l’OMPI appelée “La Voix du Modjahed” comme référence pour celles et ceux qui voulaient rejoindre les rangs de la résistance pour trouver les moyens de quitter le pays. Cette radio était diffusée depuis l’extérieur de l’Iran et, par conséquent, le régime ne pouvait pas arrêter ses activités.

Exit mobile version