Née au Maroc, Najat Vallaud Belkacem a fait ses études à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle devient porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes le 15 mai 2012. Le 26 août 2014, à l’âge de 34 ans, Najat Vallaud Belkacem devient la première femme en France à occuper le poste de ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et le troisième plus haut responsable du gouvernement.
Najat Vallaud Belkacem est actuellement membre du Conseil régional de Rhône-Alpes.
Voici le texte de l’intervention de Najat Vallaud Belkacem lors de la conférence IWD2024 à Paris.
Je vais parler en français, cela ne vous surprendra pas… poème : « Tu dis qu’il est vain d’espérer ! Chassez ce rêve absurde jusque du tréfonds de vos esprits, Qu’il vaut mieux se résigner à se taire, ou s’exiler de nos contrées, nos destins maudits ! Mais s’il est dit que le salut se conquiert dans les tranchées d’une sale guerre, armez nos bras meurtris ! Nous voulons ce que tu avais naguère, une terre où naître fille n’interdit pas de vivre. Les larmes et le sang asséchés des sœurs qu’il nous reste à venger seront l’unique pourquoi de nos vies. Et s’il faut pour ça oublier la douceur des vies bien rangées, ces choses aisées sous le bruit des fusils. S’il est dit que le salut se conquiert dans les tranchées d’une sale guerre, sans trêve et sans merci, nous te rendrons tes joyaux de naguère, cheveux à l’air, volets ouverts, un monde d’infini.
Maman, pourquoi t’es essoufflée à vouloir me rappeler ? Je ne suis plus enfant aujourd’hui. De brimades et de barbelés en insouciance refoulée, l’âge, ici, n’a que si peu de sursis. Comprends que le salut se conquiert dans les tranchées d’une sale guerre, sans trêve et sans merci, et qu’il en va de l’humanité entière, qu’aux quatre vents résonne enfin : Femme, Vie, Liberté !
Mes chers amis, j’ai préféré ouvrir avec ce texte qui m’est venu la dernière fois que j’ai essayé de m’adresser à des femmes iraniennes, à des amies iraniennes, et que je vais être franche avec vous, les mots m’ont manqué, les larmes étaient là, mais les mots c’est plus compliqué… La résistance qui est celle des femmes iraniennes, leur courage absolument héroïque, les sacrifices, la résilience ahurissante depuis ces quatre décennies d’oppression d’une dictature religieuse qui opère sous couvert de l’islam, tout ça me semble tellement exorbitant, tellement extraordinaire que j’ai presque un sentiment d’illégitimité à m’adresser à elles, à les glorifier, à les applaudir. Qui sommes-nous, nous qui vivons en démocratie, en paix, en liberté, pour intervenir et distribuer des bons points, pour pousser à tenir, à continuer de se battre, à ne pas lâcher au péril de sa vie ?
![Najat Vallaud-Belkacem: Une ode à l'héroïsme et la résilience des femmes iraniennes](https://women.ncr-iran.org/fr/wp-content/uploads/2024/03/Najat-Vallaud-Belkacem-3-min-1024x512.jpg)
Alors je préférais imaginer ce dialogue entre une mère et sa fille, je devrais dire une grand-mère et sa fille tant il est vrai que le combat dure depuis maintenant des décennies, une fille qui serait décidée à se battre comme tant d’autres avant elle et comme tant d’autres autour d’elle aujourd’hui et une mère qui serait inquiète et elle aurait raison.
Comment ne pas être inquiète quand on sait les atrocités commises par les mollahs, quand on sait que tout au long de leur tyrannie c’est plus de 120 000 personnes, principalement des membres et des sympathisants de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, qui ont été exécutées et que des milliers et des milliers de ces victimes étaient des femmes. Quand on sait les conditions carcérales, les tortures féroces qu’endurent celles qui persistent à contester, défier ce régime.
L’inflexibilité de ces femmes aujourd’hui encore retenues en prison, malgré souvent d’énormes problèmes de santé, leur engagement invincible pour la cause de la liberté et de l’égalité, les messages d’inspiration et de défis qu’elles envoient au monde extérieur, tout cela ne change rien à l’horreur de leurs conditions qu’il faut rappeler encore et toujours.
Mais en même temps, je reviens à ce dialogue imaginaire : vaut-il vraiment mieux continuer sans se rebeller ? De vivre dans cette société archaïque qui qualifie les femmes de sources de péché, d’incarnation du mal, qui les discrimine implacablement dans tous les domaines de la vie, qui les confine à la sphère domestique avec pour seul horizon obéissance aux maris et procréation, qui leur nie le droit à la tutelle, à la garde légale de leurs propres enfants, qui autorise à les marier et à invoquer leur responsabilité pénale dès l’âge de neuf ans, qui divise leur héritage par deux, qui les prive de la possibilité même de choisir leur tenue vestimentaire ?
![Najat Vallaud-Belkacem: Une ode à l'héroïsme et la résilience des femmes iraniennes](https://women.ncr-iran.org/fr/wp-content/uploads/2024/03/Najat-Vallaud-Belkacem-IWD2024-Conference-min-1024x764.jpg)
Chers amis (es),
les femmes iraniennes, qui luttent depuis plus de 40 ans contre le régime, savent que leurs revendications resteront lettres mortes tant que ce régime misogyne restera en place. Elles savent que dans cette affaire, l’égalité des genres et la quête de liberté et de démocratie se mêlent étroitement. Elles savent que le problème est politique et que donc la réponse doit être aussi un combat politique. Alors, elles sont déterminées, nous l’avons entendu encore, à renverser ce régime pour établir une république démocratique. Une république que nous appelons tous de nos vœux ici, une république dans laquelle les femmes auront enfin le droit d’occuper des postes politiques de haut niveau, y compris la présidence, y compris les magistratures, évidemment, y compris la parité au Parlement.
Une république dans laquelle la voix, le témoignage, l’action des femmes auront autant de force que celle des hommes. Oui, mesdames, chacune de nous le sait, ça se résume d’une phrase simple : quand les femmes ne sont pas autour de la table, elles sont au menu ! Force, force à Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI, force aux militants de l’OMPI, force à toutes celles qui luttent au péril de leur vie, qui résistent contre le fondamentalisme islamiste, force aux hommes qui les accompagnent et les soutiennent et payent aussi un très lourd tribut. Force à tous ceux qui refusent de laisser le silence et l’indifférence couvrir les atrocités qui se déroulent encore aujourd’hui en Iran. Car il en va de l’humanité entière, qu’aux quatre coins du monde résonne encore et toujours : femme, vie, liberté.